2 Charivari

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Charivari

 

Ce texte a pour auteur Louis Sagardoy (1898-1992), il a été recueilli par son ami Pierre Duny-Pétré en 1967 et figure dans les archives de ce dernier

sous la forme d’un tapuscrit.

 

Noms propres : Simiane, d’Asuritzia, Zabalze, Mariana Gorostis, Marie Martiren, Michel Vergès, Sauveur Harruguet, Charles Bidegain, Moureu, Urgaindi, Ugange, Bellecave, Dalhaste, Miguelgorry, Duny-Pétré, Harispe, Eyheraberry, Espil.

 

Résumé : Après avoir évoqué l’occupation romaine en Pays Basque et son influence linguistique, l’auteur décrit les péripéties d’un charivari qui eut lieu à Donibane Garazi peu après la première guerre mondiale. Le texte présente un chapitre historico-humoristique sur Charlemagne et Roland

 

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Représentation d'un charivari en Pays Basque

Dessin paru dans l'Illustration du 9 juin 1894, n°2676, page 489.

 

 

C

HARIVARI en basque, c’est «tutak». Si l’on recherche une origine ou une étymologie  à charivari, nos ancêtres, eux, n’ont pas eu besoin d’antériorités linguistiques pour en composer l’équivalent. Car «tuta», c’est la trompe. C’est également le son de cette même trompe. Une légère subversion de sens phonétique a suffi à l’euskara pour donner aux deux phonèmes tu et ta ce double sens.

C’est là déjà une composition primitive de haute qualité. Mais nous en avons bien d’autres dont il serait instructif d’établir l’inventaire pour leur merveilleuse perfection constructive. Un exemple :

-          zintzatzia : se moucher.

-          Irtzintza : éternuement.

-          Zintzurra : gorge.

-          Entzutia : entendre.

Par simple et seul apparentement de sons élocutifs, nous avons ainsi cerné, depuis des millénaires, toute la région oto-rhino-laryngologique. On pourrait disserter longuement à propos de nos onomatopées qui se révèlent pour la plupart de jolies réussites, écrasant de haut les puérils redoublements syllabiques des langues aussi ancienne que la nôtre. Ajoutons-y, pour notre orgueil, que nos vocables se placent dans une syntaxe assez riche en inflexions et nuances pour provoquer l’admiration des linguistes allemands, les premiers à la découvrir.

 

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Et qu’on ne vienne pas nous opposer, dans le dessein pernicieux d’appauvrir l’originalité de notre idiome, les paternités latines dans le genre du «ridere» qui aurait donné «irria». D’abord parce que les Basques n’ont jamais eu besoin des Latins pour rire, et ensuite parce que les Romains ne nous ont donné aucune envie de rire pendant leur trop long séjour en castra Cesaris. En appelant Garazi leur ancien lieu de campement, nous leur avons rendu plus que leur dû, fût-ce sous une de ces contractions de langage dont nous sommes, hélas, trop friands. Les prisonniers basques, qui, enchaînée, suivirent le triomphe de César, pour être décapités aussitôt après, seraient certainement de notre avis.

 

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Par contre, nous reconnaissons volontiers à nos anciens occupants césariens, que leur «augurum» nous a laissé «agur». C’était le moins qu’ils pouvaient faire pour prendre congé de nous. De même pour «barka», le pardon, en dérivation de leur «parce» (en prononciation restituée), pour la raison que ne nous sentant aucun penchant torrentiel pour un tel sentiment, du moins en Navarre, nous n’avions pas non plus senti jusqu’alors le besoin d’un terme vernaculaire risquant de demeurer sans emploi.

A l’évêque Léon, venu jusqu’à Bayonne, nous prêcher le pardon des offenses, nous lui avions coupé la tête. Plus tard et quoiqu’il ait manqué de jugement envers nous, nous l’avons fait Saint. Il est vrai que pour sortir d’une excommunication qui avait pesé sur nous pendant soixante dix ans, sans toutefois que nous en souffrions trop, nous devions aussi faire quelque concession supplémentaire. Nous l’avons faite à l’un de ces courageux successeurs (il s’appelait peut-être Etienne),  en lui donnant avec l’assentiment de nos compagnes sans lequel rien de valable ne pouvait être conclu, notre accord parfait sur le pardon des offenses, moyennant indemnité correspondante. Cet accord, nous le pratiquons toujours tel que convenu, car si nous manquons, affirme-t-on, de subtilité, nous ne manquons pas d’esprit de suite.

Nous ne refuserons pas non plus «bakea», la paix, comme prolongement du romain «pax» et «pecem» (toujours en prononciation restituée). En foutant le camp, ils nous avaient aussi foutu la paix. Le mot méritait d’être gardé. Et nous nous en tiendrons là pour l’instant.

 

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Pour en revenir à notre «Tuta», il est plus que probable que la corne de vache soigneusement évidée en sa longueur intérieure au moyen d’un fer rougi à blanc, pour transformer le souffle buccal en sonorité harmonique, a été, pour nous aussi, avec la flûte de sureau (sauka), le premier instrument d’expression musicale. On n’est jamais arrivé à donner à deux cornes le même son. Mais on est arrivé à les harmoniser entre elles, et un très vieil instrument de cette nature, à deux éléments accouplés, existe en Biscaye, que depuis quelques années, on a pris à tâche de perfectionner.

A d’autres donc la flûte de Pan. Nos bergers n’ont jamais été des Pan. C’était un berger-dieu affreux et à ce pont loupé, que dès sa venue au monde, il fut abandonné aux sylvestres. Ce n’est absolument le cas d’aucun de nos bergers. Et même il y en eût un à Sainte-Engrâce, jeune, grand et beau, qui recueillit un jour d’orage en son cayolar, une jolie parisienne agrégée de lettres, perdue vers la Pierre Saint-Martin au cours d’une excursion solitaire. Il lui fit connaître les joies du cayolar et celles de la nature. Toutes. Et ils s’épousèrent. On l’avait vu partir pour Paris, habillé gentleman dans une maison de confection d’Oloron. Depuis, personne ne savait ce qu’il faisait dans la capitale. On supposait qu’il y faisait le beau, comme dans son cayolar. Il reparut au village pendant l’Occupation allemande, aux fins d’approvisionnement alimentaire pour sa famille de Paris qui le bénissait d’une origine aussi riche et aussi utile pour les temps de famine. «Dieu fait bien ce qu’il fait et je n’en sais pas plus».

Dieu fit encore très bien lorsque le Comte de Simiane, petit-neveu de Madame de Sévigné et aviateur de France, épousa à Bilbao une fille d’Asuritzia, de Zabalze, qui y était institutrice de famille. Durant la guerre de 1940, le couple mésallié vivait au château de Simiane, près de Marseille, et toute la famille comtale des Simiane, ascendants, descendants et collatéraux, aurait péri de faim si la fille d’Asuritzia, retrouvant son expérience asuritzienne, n’avait mis sur pied dans les dépendances du château, un remarquable élevage de poules, cochons et lapins. Elle tira d’affaire tout son monde blasonné.

 

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Malgré toute l’admiration que nous portons à la création de «tuta», nous ne prétendrons pas que son usage en charivari relève du plus éblouissant des génies. Acceptons que ce soit là un moyen épisodique d’attendre le carnaval qui exige aussi du bruit. A l’adresse des veufs et veuves en désir d’épousailles de rechange, les «tutak» constituent offense de moquerie. Les curés des paroisses en condamnent la pratique en clair et à mots couverts, suivant leur éloquence et la circonstance. Ils sont toujours plus discrets, et souvent muets, lorsque les «tutak» illustrent quelque adultère notoire.

Mais on «tute» quand même dans les campagnes et dans les bourgs. Dans les premières, les «tutak» se limitent à un concert depuis un bois voisin. Le silence de la nuit porte loin ces sonorités d’admonestation ironique. Par coups brefs et longs, comme le télégraphe Morse, et usant d’une technique éprouvée, les souffleurs s’évertuent à signifier leurs sentiments. Dès l’abord, le nombre des sons correspond au nombre des syllabes composant les noms des personnes visées. Ensuite, les sonorités graves figurent l’homme et les aiguës s’attribuant à la femme, il s’établit une longue conversation monocorde. C’est la joie des villages d’en découvrir l’interprétation.

Dans les bourgs, c’est une autre affaire. Le concert s’annonce bien par la corne traditionnelle, mais pour se poursuivre d’un tintamarre de vieux chaudrons et autres ustensiles, réformés, cela va sans dire. Les chiens à la queue desquels on assujettit ces sources de tumulte apportent une collaboration qui en fait des auxiliaires extrêmement efficaces. Il y a aussi des couplets de circonstance. Et à ce propos, il est curieux d’observer combien un tel événement stimule l’inspiration de gens le moins doués en verve satirique. Personne, dans ce cas, qui n’apporte quelques rimes longuement régurgitées, pour être assemblées en bouquets poétique avec le concours des mieux doués. L’anonymat va décupler leur génie.

 

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A vrai dire, il n’y a plus en ce maintenant de 1968, presque plus de «tutak» dan les bourgs. Seules les campagnes où les distractions sont moins nombreuses, en maintiennent l’usage, prétextant, par pure coïncidence, la nécessité d’éloigner renards et blaireaux. En fait, ratissant tout le Pays Basque, on ne trouverait pas dix renards et vingt blaireaux..

Le dernier charivari de Saint-Jean date de peu après la guerre de 1918. L’excellente femme qu’était veuve Mariana Gorostis en eut les honneurs. Son époux Jean s’était envolé vers l’éternité sur un épais nuage de vapeur d’alcool où dominait le parfum délicat du Pernod. A la suite de quoi, Mariana se trouva dans la nécessité de prendre un compagnon idoine à la prospérité de son commerce. Elle  le trouva de qualité exceptionnelle. Le chahut organisé à cette occasion fut de taille et aux multiples péripéties. Rien de comparable toutefois avec celui resté fameux de 1832, raconté par Gil Reicher dans son délicieux livre «Saint-Jean-Pied-de-Port en Navarre». Celui-là avait été monstrueux, sanglant même. Dirigé d’abord contre la pauvre petite veuve Marie Martiren, il tourna vite contre la municipalité de l’époque ; et commencé avant le carnaval, il ne prit fin qu’avec les Cendres.

 

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Dans celui-ci que nous avons vécu, on sortait  de la guerre et on voulait s’en donner à cœur joie. Aux olifants traditionnels se joignirent en cacophonie les instruments de la Lyre et de l’Harmonie. Ces deux sociétés musicales, rivales avant la guerre, avaient fusionné et les éléments abondaient. Surtout qu’il est  plus commode de souffler dans un bugle que dans une corne de vache et les variations en sont d’un meilleur effet. Le pittoresque Michel Vergès, traditionaliste évolué, et de plus, habile de ses mains, lorsque le poil qu’il y portait en guise de canne l’autorisait à quelque effort laborieux, avait ajusté un soufflet à main sur une corne savamment fignolée. Il en tirait des sons ahurissants. Du gémissement, il se transportait au hurlement, se recréant par intervalles de rires inhumains. Son triomphe résidait dans un hululement apocalyptique qui bouleversait les cœurs. Tous les soirs, ayant envoyé son numéro, il se retirait gonflé de la satisfaction d’être tenu pour le prince du moment.

 

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Représentation d'un charivari en Pays Basque publiée par  l'Illustration du 9 juin 1894, n°2676, page 489 .

 

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Cependant, le peuple commençait à se lasser, et la gendarmerie à s’émouvoir. De surcroît, les gosses mettaient la pagaille dans les rues avec leurs mini-cornes et autres mirlitons de pochettes-surprises, malgré les remontrances reçues chez eux, à l’école et au catéchisme. Leurs instruments subversifs échappaient en effet aux fouilles les plus minutieuses. La contagion avait gagné jusqu’aux filles du cours «sélect» des demoiselles Dauvergne (instruction, éducation piano, solfège). Et ces précieuses enseignantes, si touchantes en leurs guipures de fanfreluches, et d’autre part, discrètement rembourrées  de vertugadins, s’indignaient à désespoir des tonalités scandaleuses se répétant en écho dans l’interminable corridor de leur établissement.

On s’avisa de retrouver la faveur publique par quelques koblak et on en sollicita spécialement de l’huissier Sauveur Harruguet, l’immortel auteur de Ihautiri-solas. Immortel en tant qu’auteur, évidemment, car en tant qu’être humain, il y a longtemps qu’il a rejoint le triangle lumineux du grand Architecte, droit comme le fil à plomb de son insigne maçonnique. A la déception presque générale, il s’y refusa. Officiellement. Mais dès le soir, s’élevait dans la nuit saint-jeannaise une complainte de litanies d’une incandescente actualité. Fortuite rencontre des choses.

On en rapprocha tout de même que cette après-midi là, l’huissier était resté plus longtemps que d’habitude penché sur le parapet de fer du pont de l’église, en contemplation silencieuse des truites municipales qui sous cet endroit, se nourrissaient des maigres restes de la cuisine des dames Baron. Et on sait que c’est là qu’Harruguet trouvait son inspiration. Il dut la trouver tellement copieuse et tellement à son propre goût, qu’il en oublia de projeter dans la Nive le coutumier jet de salive que tout contemplateur de la rivière y expectore en fin de contemplation.

De ces couplets, nous n’en avons gardé en mémoire que le refrain. Il suffira de toutes façons à préjuger de la veine du reste. Cette transcription exige le carré blanc.

Minini manana

Iphurdi gizena.

Bero dun mununa

Ederra zezena.

Ixtapian eztena

Gogor eta xuxenna.

Barnaxko emana

Kiliki mununa

Minini manana.

Pour notre crainte qu’un tel poème ne trouve place, même en la plus abominable anthologie lubrique, nous la confions par les présentes archives de Pierre Duny-Pétré, connu de nous tous pour son amateurisme éclairé en tout ce qui touche aux sélections originales.

 

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Représentation d'un charivari en Pays Basque publiée par  l'Illustration du 9 juin 1894, n°2676, page 489.

 

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La maréchaussée avait maintenant ordre de sortir en force et les couplets avaient été trouvés d’une obscénité rédhibitoire. Pour tout arranger, les enfants avaient commencé à les chanter à mi-voix dans la rue et ça ne faisait pas joli. Personne pourtant ne protesta lorsqu’on s’aperçut que Charles Bidegain, secrétaire de mairie et tambour de ville, rythmait en parfaite mesure avec la cadence des vers maudits, les roulements annonciateurs des avis officiels. On en avait de plus en plus contre le tintamarre nocturne.

 

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Le gendarme Moureu, natif de Larrau et toujours plus basque que gendarme, avait dit comme ça, à l’auberge Lucia et entre deux coups de blanc, que sur territoire d’Uhart, le chahut faisait tapage nocturne, mais sur territoire saint-jeannais, offense  personne désignée, en plus. Cette indication qui tenait davantage du conseil amical que de l’avertissement réprobateur, fut immédiatement mise à profit. Un certain endroit de notre ville offrait à ce propos une possibilité providentielle.

L’endroit en question est en fait un haut lieu de Saint-Jean qui, comme tel, paraît assez ignoré malgré les très vieux souvenirs historiques qu’il recèle. Il s’agit du gué d’Urgaindi situé au bas de la très vieille route descendant des écoles vers la Nive. Maintenant un mur s’élève de chaque côté de la rivière entre Uhart et Saint-Jean pour contenir les eaux. Mais en ce temps-là, les berges étaient planes, moins côté boucherie Bellecave que côté Saint-Jean où l’eau s’avançait en un petit golfe propice aux bains de pieds des gosses en vacances.

De grosses pierres plates disposées là depuis un temps immémorial (elles n’y sont plus) facilitaient la passage à pied sec. Les douaniers y prenaient souvent poste de nuit et en profitaient pour placer quelques cordeaux à truites et anguilles, demeurant sous leur surveillance. Avant la construction du Pont Neuf, il y a plus de soixante ans, les troupeaux auxquels la traversée de la ville était interdite à cause du crottin qu’ils laissaient et de l’embarras qu’ils causaient, devaient obligatoirement y transiter. Les charrettes y passaient aussi, évitant le détour de la ville.

Ce quartier de Saint-Jean s’appelle Ugange, malheureuse déformation d’Urgaindi, due à quelque mauvais scribe ignorant de notre langue. Il avait constitué autrefois la paroisse Sainte-Eulalie, la plus importante de Saint-Jean. L’église s’en trouvait à peu près sur l’actuel emplacement de l’hospice. On affirme qu’un oratoire de bord de route avait été édifié bien autrefois, «Moïsen denboran», sans autre précision, main droite vers la rivière, où s’élève maintenant une importante bâtisse à plusieurs logements. Cette bâtisse mérite qu’on en parle. Elle aurait servi de temple aux quelques Huguenots de Saint-Jean, puis de dépendance au château Dalhaste, actuel Miguelgorry, puis de halle et marché couvert, le premier de notre ville, et encore d’écurie, grange, de trinquet sous la direction de Léon Barbier et même de porcherie sous la même direction. Elle a connu tout cela et même davantage et en tout cas, les trois affectations suivantes sont à rappeler :

-école par intermittence.

-salle de banquet de plébiscite de 1852, banquet où les esprits bien échauffés criaient indifféremment pour la République, pour le Roi, pour l’Empire.

-salle de spectacles. Et oui, au temps des crinolines, ce fut notre théâtre. Plus tard, on lui préféra la petite construction en pierre de taille, encastrée dans le rempart, côté gendarmerie. Cette minuscule salle était réservée à la gentry locale et aux officiers de garnison.

 

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Représentation d'un charivari en Pays Basque publiée par  l'Illustration du 9 juin 1894, n°2676, page 489 .

 

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Ce chemin d’Urgaindi s’appelle toujours sur le cadastre «chemin vicinal n°1». Il aurait droit à une appellation plus noble que celle de vicinal, car se prolongeant à travers le gué vers Uhart, suivant le chemin cadastré à Uhart en désignation de Karrika zaharra, c’est la route des grands passages, des grandes invasions. Au printemps de l’an 207 avant J.C., Urgaindi a vu passer les 25.000 guerriers  et les 15 éléphants d’Hasdrubal allant secourir son frère Hannibal en Italie. Pourquoi Hasdrubal, venant de Carthage, était-il passé par le Pays Basque en lieu de foncer droit sur la Catalogne ? Tite-Live l’explique : le jeune général romain Scipion, futur Scipion l’Africain, avait solidement verrouillé la Catalogne, et Hasdrubal n’avait aucune chance de pouvoir y passer. C’est pourquoi il longea le versant sud des Pyrénées, jusqu’au pays Queretain, ancien nom de la Navarre. (Il y a des gens qui s’appellent Quejereta en Pays Basque espagnol). Son cheminement depuis les Echelles d’Hannibal (Orria et plus tard Roncevaux) jusqu’à Urgaindi, a été rétabli par l’érudit professeur Etcheverry de Larressore.

 

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D’Hasdrubal nous n’avons rien à dire contre. L’or carthaginois rémunérait grassement la liberté de passage. Nous n’en dirons pas pour autant d’un certain jean-foutre qui avait nom Roland et se disant preux, passa au même endroit mille ans plus tard en direction de Pampelune et Saragosse. Il se disait aussi neveu de Charlemagne, mais il y avait bellement de neveux et prétendus neveux de Charlemagne, qu’il est bien difficile de trier les vrais et les faux.

Pour la raison qu’en plus d’une femme légitime, ce monarque possédait dans ses divers lieux de résidence, une flopée de concubines, sans compter les dames de passage qui venues à Aix-la-Chapelle prendre les eaux, s’en retournaient fécondées de la semence carolingienne. Son frère Carloman roi comme lui, disposait avant de mourir mystérieusement, d’un cheptel  féminin de même importance, et de prérogatives semblables. On voit qu’à tous les deux, ils pouvaient avoir beaucoup de neveux, authentiques ou pas.

Moins bien élevé qu’Hasdrubal, Roland, en 778 ne paya pas son péage. Mais au retour de son expédition infructueuse, il paya de sa vie celle des innombrables moutons et vaches dont il avait nourri son armée. Celle aussi de nos compatriotes qu’il avait passés au fil de l’épée. Quarante six ans  plus tard, Louis le Débonnaire dut s’expliquer avec les autochtones pour les mêmes raisons et au même endroit. Sachant  courir  autant qu’être débonnaire, il réussit à sauver sa peau. A l’endroit de ces règlements de comptes, les Basques de Navarre avaient élevé une pyramide commémorative. Les soldats de la Révolution (française), lors de leur première campagne d’Espagne, jetèrent bas ce monument, malgré les protestations de Harispe et de ses hommes. C’était le 19 octobre 1794, début de nos inepties en Espagne. La suivante sera celle de l’installation de la guillotine à Saint-Sébastien.

En l’espace de vingt cinq ans, la France a porté par trois fois la guerre en Espagne. Il en est resté environ quatre cents plaques commémoratives des exactions et destructions de nos armées dans le pays. Et en outre le cognac Domecq rivalisant avec le nôtre. Sans rancune.

D’avoir zigouillé Roland, nous l’avons de suite payé par des années d’occupation sauvage des guerriers de Charlemagne. Puis, comme il y avait beaucoup de conversions au christianisme, sans doute à la manière des Alamans poussés au baptême le glaive pointé au bas du dos, on nous pardonna tout et même certains d’entre nous furent autorisés à pénétrer dans les églises à cheval et en armes. La belle affaire !

Le pape Léon III goûtait peu les méthodes de prosélytisme de Charlemagne. Il l’invita à venir jusqu’à Rome faire allégeance de chrétien et avec l’intention de lui tirer les oreilles à cause de ses façons. Refus de Charlemagne. Le pape lui envoya alors un légat excommunicateur, lequel eut bien de la chance de s’en tirer sain et sauf. De toutes manières, l’excommunication n’était définitive qu’après que le pêcheur eut consenti à s’agenouiller devant l’entrée d’une cathédrale pour permettre à l’évêque du lieu de lui briser un cierge sur la tête. Les divers évêques pressentis à ce sujet s’étaient tous fait porter malades les uns après les autres. L’excommunication virtuelle n’en demeurait pas moins, affligeant les esprits des femmes plus que celui de l’intéressé.

Le Saint-père lui avait fait dire : «Venez, on va s’arranger». Têtu, Charlemagne s’y refusait toujours tandis que ses femmes  lui couinaient à longueur de journée : «Mais vas-y Charles, vas-y donc !» Pour avoir la paix, il finit par y aller accompagné de cinq mille cavaliers aux longs cheveux blonds puant le beurre rance. Par truchement d’interprète, le pape lui renouvela l’excommunication, sauf repentir immédiat. « Mais c’est du bidon ! » s’exclama Charles. «Non é bidone, carissimo, non é bidone» dit le pape de cette voix douce qu’ont les souverains pontifes pour s’adresser à la chrétienté. «Qu’est-ce qu’il dit ?» s’exclama Charles. «Il dit que ce n’est pas du bidon», précisa l’interprète. «Foutez-moi ce pape en taule», ordonna Charles à ses sbires. Ce fut fait en un tournemain.

Au bout de quelques jours, le pape envoya la commission «on pourrait causer». Et ils causèrent si bien que la présence à Rome de Charles et de ses cavaliers fut considérée comme acte d’allégeance et qu’en outre, il lui fut promis que si désormais, il se montrait raisonnable, on le ferait saint après sa mort. Dans l’intervalle, il était autorisé à se faire proclamer empereur des chrétiens d’occident et le pape viendrait en personne à Aix-la-Chapelle à l’occasion du sacre ; ça tombait bien. Charles approchait de la quarantaine et il venait justement d’apprendre à lire et à écrire.

L’Eglise tint parole parce que Charles l’avait tenue aussi. Et quand le temps fut venu, on le monta sur les autels, plus exactement et seulement sur l’autel d’Aix-la-Chapelle. Sa fête se célèbre en cet unique endroit le 28 janvier dans la plus grande pompe et à cette occasion, un y allume un cierge énorme.

 

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Représentation d'un charivari en Pays Basque publiée par  l'Illustration du 9 juin 1894, n°2676, page 489 .

 

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En janvier de 1919, on occupait ce coin de l’Allemagne. Vainqueurs transis, sous un froid polaire, on traversait Aix et on voulut aller voir de plus près. Un chanoine jovial et joufflu, érudit jusqu’au bout des ongles, nous fit en un raccourci de deux heures et dans un français vigoureusement armaturé d’accent tudesque, le récit imagé de la vie de ce Charles qui, tout compte fait, fut un grand homme ; quoique ne mesurant pas tout à fait un mètre soixante cinq. « Il peut y avoir de grands hommes de petite taille, nous expliqua le chanoine. Voyez votre Napoléon 1er, un mètre soixante cinq lui aussi. Et Alexandre le Grand était encore plus petit. Il est vrai qu’il était bossu et les bossus sont toujours petits. Nous récompensâmes ce bon chanoine à notre roulante d’un quart de jus chaud, sucré, gnolé. Il s’en déclara ravi. Voilà nos comptes réglés avec Roland et son oncle ou présumé tel.

Nous en avons d’autres à régler en Garazi où nous retrouvons le charivari et son tumulte quoique faiblissant. Nous avons vu que ça sentait le roussi puisque la gendarmerie sortait en force et poursuivait les acteurs, lesquels parfois, bénéficiaient de la complexité de la douane en ronde nocturne. De Saint-Jean à Uhart, par Urgaindi, d’Uhart à Eyheraberry, à travers chemins, près et jardins, à travers aussi chutes douloureuses et chevilles foulées, les poursuites s’affolaient de nuit en nuit. Le brigadier de gendarmerie, fatigué le premier, avait pris langue avec les charivarisants, mais ceux-ci ne pouvaient pas décrocher sans une transition honorable.

Elle vint de la mésaventure survenue à Ttuntturra, le cordonnier bossu de chez Espil, né natif de Lacarre, qui par une nuit sans lune et fuyant de cache en cache les autorités persécutrices, glissa en catastrophe dans la fosse à purin de la porcherie d’Eyheraberry. Car c’est toujours avec le disgrâcié que la fatalité frappe d’abord et le plus fort. Ses camardes le laissèrent barboter un moment, puis, comme il appelait au secours, l’un d’eux, s’approchant, lui demanda avec une feinte compassion :

—Zer ari hiz hor ? (que fais-tu là-dedans?).

—Athera nezazie hementik ! (sortez-moi d’ici), supplia le bossu.

On l’en tira avec les précautions hésitantes que l’on mettrait pour aller tirer la queue d’un chien enragé. Ayant repris pied sur la terre ferme et s’étant ébroué de son mieux, il eut ce mot digne de l’antique : « Hauk pitokeria» (en voilà une c…). Il rentra seul par le petit chemin qui d’Eyheraberry monte vers la route de Saint-Michel, semant derrière lui en goutte à goutte, les traces de son bain excrémentaire. Il mit du temps à se débarrasser de sa puanteur. Il en vomit même pendant quelques jours, car il avait bel et bien pris la tasse. Enfin épuré, il sortit en ville et à son passage, les gens se pinçaient le nez et faisaient Brrrrou… Brrrrrou… Au troisième Brrrrou, il disait : « Aski ! »

Dès le lendemain de cette baignade, il n’y eut plus de tapage. La Brigade, soupçonneuse de quelque pause stratégique, continua encore ses sorties, malgré l’avis du gendarme Moureu qui, toujours expert en psychologie locale, avait déclaré péremptoirement : «Maintenant, c’est fini». Et c’était bien fini. Seul Michel Vergés poursuivait ses solos, mais en toute prudence et depuis l’intérieur de son atelier qui donnait vers le rempart d’Uhart. Sorti du contexte, il devenait insupportable et ce furent les voisins qui l’invitèrent au silence. Les «tutak» venaient de sombrer dans la fosse aux souvenirs.

Cependant, le souvenir de la trempée nauséabonde demeurait collée au cœur et au corps de Ttuntturra. Un de ces quidam qui foisonnent de par le monde et que chez nous on désigne sous le nom composé de kakanahasitzalia, lui suggéra de réclamer des dommages intérêts au propriétaire de la fosse. Celui-ci le reçut avec les égards dus à un sinistré de cette qualité. Ttuntturra insista longuement sur le préjudice moral, corporel et vestimentaire qu’il avait subi.

Il lui fut répondu que la quantité de purin qu’il avait emporté sur son corps et ses vêtements avait fait baisser d’une manière regrettable le niveau de ce précieux liquide et cela constituait l’équivalence des dommages. C’est pourquoi on ne lui en tiendrait pas rigueur. Ttuntturra finit par en convenir. Tout de même, en guise de baroud d’honneur, il prétendit remontrer au propriétaire en question, que cette fosse devait être protégée d’une barrière pour éviter d’autres malheurs de ce genre. On lui opposa qu’aucun précédent de l’espèce n’avait jamais été à déplorer, à l’exception d’un cochon ñapurra qui, épris de liberté, s’était un jour enfui de sa loge, et suivant le même chemin, avait connu le même désagrément.

Mais ce cochon ñapurra s’était tiré tout seul d’embarras, démontrant ainsi et par anticipation une incontestable supériorité occasionnelle sur les cordonniers bossus. Dès lors, la cause était entendue et la réclamation retirée. On se sépara sur un verre de rancio et sur la constatation volontiers reconnue que tous les liquides n’ont pas forcément le même goût.

Ce qu’est un cochon ñapurra, demandez-vous ? On vous l’apprendra pour votre enrichissement intellectuel. Ñapurra se dit des bêtes, vaches, cochons, béliers, rarement brebis, qui, sous l’effet d’une brutale résurgence de leur antique condition sauvage, témoignent d’un tempérament aventureux, rebelle, saccageant les clôtures et les haies, enquiquinant leurs copains et refusant d’obéir à la voix du maître. Aux vaches et aux béliers, on leur fixe sur le cou une cangue faite de traverses de bois, qui leur interdit les fantaisies de mauvaise éducation.

Pour les cochons, le procédé est évident. Au cours d’une opération hurlante et pour laquelle ils sont immobilisés par de solides cordes, on adapte à l’extrémité de leur groin une garniture de quelques anneaux en fil de fer tordu qui les meurtrira douloureusement lorsqu’ils voudront faire du forcing avec leur museau.  Ces anneaux s’appellent «lamak» et le cochon ainsi traité est dit «lamatia». De cette opération de «lamatzia», on en menace aussi parfois certains hommes à la virilité trop entreprenante ou trop productive. Mais à notre connaissance, une telle menace est toujours restée purement verbale. Son exécution exigerait en effet le secours de l’un de ces cadres parallélépipèdes, en service chez les maréchaux-ferrants pour le ferrage des bêtes. Ou mieux encore, la connivence de quelque sadique médecin anesthésiste, pour aider à la localisation adéquate du dispositif de dissuasion. Impensable, n’est-ce pas ? C’est donc là simple vue de l’esprit, si l’on peut dire. En tous cas, vous savez tout sur la question.

 

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Représentation d'un charivari en Pays Basque publiée par  l'Illustration du 9 juin 1894, n°2676, page 489 .

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